Avec les rachats de B-pack, Hubwoo et SynerTrade, la consolidation s’accélère sur le marché de l’e-achat. La pression du marché et le jeu de la concurrence poussent les éditeurs à chercher des partenaires, pour atteindre une taille critique et disposer des ressources nécessaires pour innover.
Les acquisitions d’IBX (Capgemini), d’Emptoris (IBM) et surtout d’Ariba (SAP), entre 2010 et 2012, avaient déjà ébranlé le marché des solutions e-achats. Avec celles de B-pack, d’Hubwoo et de SynerTrade, au cours des derniers mois, il vient de connaître une nouvelle secousse. Première conséquence, ces opérations entraînent la disparition de deux spécialistes français historiques, B-pack et Hubwoo, qui passent sous pavillon américain en rejoignant respectivement Selectica et Perfect Commerce. En compensation, l’arrivée de Digital Dimension (filiale du groupe Econocom) sur le marché de la gestion des achats, suite à l’acquisition de 90 % des parts de SynerTrade, crée un nouvel acteur hexagonal de poids : 490 collaborateurs cumulés et un chiffre d’affaires attendu à 120 millions d’euros pour l’exercice 2016. Les autres éditeurs, déjà mis sous pression par la vitalité retrouvée d’Ariba et l’arrivée de nouveaux entrants (start-up, éditeurs étrangers, etc.), doivent-ils craindre cette nouvelle concurrence ?
La principale interrogation concerne SynerTrade. Depuis le lancement d’Accelerate, la dernière version de sa suite métier, il y a un an, puis l’ouverture de nouveaux bureaux en Europe, l’éditeur d’origine franco-allemande était à la recherche de partenaires pour soutenir sa croissance. En s’appuyant sur les ressources de Digital Dimension, et plus globalement sur celles d’Econocom qui dispose de 8 500 collaborateurs dans 19 pays, SynerTrade espère pouvoir accélérer le déploiement de son offre à l’international. Son PDG, Eberhard Aust, qui a conservé ses actions et son poste à la tête de la société, compte aussi sur le nouvel actionnaire pour renforcer le volet e-procurement de la suite et lancer des déclinaisons sectorielles. « Tout va dépendre de la stratégie d’Econocom et de son envie d’investir dans la société, car la R&D et les efforts de prise de marché représentent des coûts importants », prévient toutefois Gérard Dahan, directeur général EMEA d’Ivalua, le principal concurrent français de SynerTrade.
Surtout, en tant qu’entreprise de services numériques, Econocom connaît-il le métier du logiciel e-achats et la pertinence de l’offre de SynerTrade ? La question se pose d’autant plus que ni Selectica, qui se serait un temps intéressé au dossier, ni Ivalua, potentiellement candidat pour conforter sa position sur le marché français et de se renforcer en Allemagne, n’ont osé s’engager. « Cela fait déjà quelques années que SynerTrade, de par son positionnement et sa stratégie produit, n’est plus un concurrent », considère pour sa part Martial Gérardin, directeur général Europe de Perfect Commerce, pour qui « cette acquisition n’est pas lisible ». En rejoignant un acteur des services, SynerTrade ne risque-t-il pas de connaître le même sort qu’IBX ou Emptoris, dilués dans une offre globale mêlant services et logiciels en tous genres ? Au point de disparaître des radars.
En l’état actuel des choses, Econocom se contente d’expliquer que SynerTrade était une « formidable opportunité ». « D’abord, parce que le marché mondial des outils e-achats en mode SaaS représente un potentiel énorme », explique Bruno Grossi, le directeur exécutif du groupe, en charge de la stratégie, des acquisitions et de la communication. « Ensuite, du fait du positionnement de SynerTrade : en termes d’offre, avec une couverture très complète du processus achats, mais aussi de présence géographique, en ligne avec le projet d’Econocom de passer au statut de « société européenne » et de renforcer ses activités dans plusieurs pays, en particulier en Italie et en Europe du Nord ». Le responsable d’ajouter : « Bien sûr, tout dépendait du prix. Mais au final, nous avons fait une très belle affaire ». Comprendre : SynerTrade n’aurait pas été payé très cher. Probablement en dessous de 7 millions d’euros, selon Gérard Dahan, voire bien moins.
Les rachats de B-pack et de Hubwoo sont à mettre sur un autre plan. Ils mettent en effet aux prises des acteurs déjà positionnés sur le marché de l’e-achat, qui connaissent la maturité des entreprises et leurs exigences en matière d’outils dans ce domaine. Et n’ont pour ambition que d’atteindre une taille critique et de profiter de synergies, pour peser sur le marché et pouvoir progresser plus rapidement. « Pour assurer sa croissance et sa pérennité, un éditeur de logiciel doit trouver des sources d’inspiration et de financement. La fusion Selectica, Iasta et B-pack porte la marque de ce double ancrage », analyse Patrick Chabannes, récemment recruté par le groupe au poste de stratégiste solutions. Constitué depuis cet été, le nouvel ensemble emploie aujourd’hui 170 personnes et table sur un chiffre d’affaires de 35 millions de dollars cette année. Même point de vue pour Hamp Wall, PDG de Perfect Commerce, qui atteindra 300 collaborateurs et un chiffre d’affaires de 50 millions de dollars avec Hubwoo : « L’acquisition va soutenir la croissance de la société dans plusieurs géographies clés, à travers des implantations et un portefeuille clients très complémentaires ». Elle lui apporte aussi la puissance d’un business network, des fonctionnalités avancées dans la gestion des achats et un datacenter en Europe.
Au final, cette consolidation, dans un marché extrêmement dynamique, est plutôt vue d’un bon œil par la plupart des autres acteurs présents sur le marché français. En tout cas par ceux spécialisés sur un créneau particulier, qui ne voient pas de menaces particulières, ou ceux pouvant exercer un rapport de force équilibré. Ce serait même une « formidable opportunité » pour Ivalua. « Quoi qu’il arrive, ces opérations mettront du temps à se concrétiser, ce qui va créer un appel d’air sur le marché, comme lors des deux ou trois années de flottement qui ont suivi le rachat d’Ariba », assure Gérard Dahan. Mais il est évident que si ses ambitions internationales venaient à amplifier parce que la demande sur le produit dépasserait les frontières d’Europe centrale et Nord-américaines, la donne changerait. « Il nous faudrait nous aussi réfléchir à faire entrer un investisseur sur une petite partie de notre capital », conclut-il.